Édition,
investigation
et débat d'idées

Au revoir Jamal Boushaba

« Culture, etc. », déclamait-il, en prolongeant de sa voix grave et cætera, comme si c’était là le mot le plus important. Dans ces suites indéfinies, suggérées, qu’il serait inconvenant d’énumérer.

Quand je l’ai connu, au milieu des années 2000, Jamal Boushaba avait cette émission nocturne à la radio de Aïn Chok, où il m’avait invitée à lui donner la réplique. C’était Jacqueline Alluchon, son amie de toujours, qui nous emmenait dans sa 4L. Tous deux se chamaillaient sur d’essentiels points concernant l’architecture, le cinéma, la musique, tandis que la vieille guimbarde peinait à gravir les hauteurs jusqu’à l’antenne. On traversait des locaux presque déserts, qu’il remplissait aussitôt de sa présence.

Le générique ? À chaque émission une version différente de « Ne me quitte pas ». Pour lui, celle de Brel était la moins réussie, ce qui me scandalisait. Si je me souviens bien, sa préférée était celle de Nina Simone. Sans doute pour sa façon déchirante de dire la solitude.

Il m’énervait avec sa fascination pour Lyautey, avec sa façon de parler des Arabes comme s’il était Suédois, avec sa nostalgie d’un âge qu’il n’avait pas connu et qu’il évoquait comme si c’était le bon temps. Un temps d’avant internet, d’avant les ordinateurs auxquels il n’avait cédé que tardivement, ce qui l’avait longtemps dispensé de basses besognes comme taper ses propres textes. Jamal, lui, dictait. Il jouait au dandy, s’était forgé un personnage précieux, élégant, anticonformiste. Cela l’amusait d’observer ses interlocuteurs, interloqués de ses tirades. Le monde était son théâtre.

Le monde de l’art, surtout, avec ses multiples facettes. Jamal était la référence de la presse culturelle et surtout de la critique d’art. Il avait porté l’expérience des Alignés en 1992, un mensuel « d’art et d’humeur », avant-gardiste et facétieux. Au Journal hebdomadaire, à TelQuel, jusqu’à sa page Facebook et son site (finalement !) artetc.ma, il partageait dans des chroniques profondément personnelles son regard exigeant et d’une très grande justesse. Tout récemment, il avait publié un très beau recueil de poèmes, tout en subtilité : Champs de nuit (Le Fennec, 2021).

Dans l’art, dans les mots, dans la nuit, il n’a cessé de chercher quelques étincelles de beauté échappées d’un monde dur. Et il les y trouvait.

Kenza Sefrioui

21 avril 2021