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Cercle Shahrazade : l’émancipation par le conte

13Les membres du Cercle Shahrazade utilisent la nouvelle, la poésie et le conte pour donner goût à la lecture, aux enfants comme aux adultes.

Depuis trois ans, et jusqu’à fin mars dernier, le Cercle Shahrazade a animé des dizaines d’ateliers de formation, dans le cadre du projet Hikayat Shahrazad, dans le Nord du pays, à Tanger, Tétouan, Martil, Mdiq, Fnideq et Belyounech ainsi qu’à Beni Mellal, Afourar, Marrakech et Tahanaout. Ces ateliers, qui ciblaient les jeunes femmes de ces régions, avaient comme dénominateur commun, de véhiculer à travers le conte des valeurs essentielles telles que l’égalité entre femmes et hommes, l’estime de soi, mais aussi l’utilisation de l’esprit critique. Les formateurs du Cercle ont continué à dispenser ces ateliers en présentiel, malgré les contraintes de la pandémie.

Animé en grande partie par des enseignants, le Cercle Shahrazade s’est tout de suite investi dès sa création, en mars 2000, dans des ateliers de lecture et d’écriture au profit des jeunes des banlieues, au sein même des établissements scolaires de Casablanca, puis des autres villes. « Nous avons travaillé en collaboration avec les académies, dans les écoles primaires, collèges, lycées et même dans les universités. Nous nous sommes concentrés sur trois registres, le conte, la nouvelle et la poésie », nous expliquait Amina El Yazami, membre et formatrice au sein de l’association, dans un entretien en 2019.

 

Métier clé : documentaliste…

Le travail dans les écoles va permettre aux membres du Cercle Shahrazade de faire un diagnostic de la lecture dans ces lieux dédiés au savoir. « Nous avons constaté l’importance du rôle du documentaliste, quand ce dernier est bien formé. Si l’école dispose d’une bibliothèque ouverte aux élèves avec un encadrant motivé, les jeunes viennent à la bibliothèque et lisent », ajoutait ainsi Amina El Yazami. L’association a multiplié les actions de promotion de la lecture dans les lieux publics, dans les institutions culturelles, les librairies, au salon du livre de Casablanca…, ainsi qu’à l’Islahiya, le centre de redressement destiné aux mineurs. « Pendant des années, nous avons organisé des ateliers au profit des pensionnaires de l’Islahiya. Deux à trois fois par semaine, un des membres de l’association y allait pour y animer ces ateliers », soulignait encore Amina El Yazami. Résultat : les jeunes détenus se sont mis à la création. Un livre écrit par ces jeunes a vu le jour : Aswat chabba khalfa lkotbane (Jeunes voix derrière les barreaux).

Le Cercle Shahrazade s’est concentré ces dernières années sur le conte, cette tradition orale si riche au Maroc. « Le conte est important et a de l’avenir, nous en sommes persuadés. Car il est le récit qui décrit les sociétés d’hier dans leurs divers aspects. Le côté fantastique parle à l’imaginaire des jeunes. Le conte est une seconde demeure où ils peuvent se réfugier quand le réel devient étriqué », explique Latifa Liraqui, une des fondatrices du Cercle Shahrazade. L’association a fait du conte un de ses axes majeurs d’action, notamment dans les établissements scolaires. « On demandait aux élèves d’aller recueillir les contes chez leurs parents et leurs grands-parents et venir les raconter lors des ateliers. C’était stimulant autant pour eux que pour nous », se souvenait Amina Yazami. Le Cercle Shahrazade a également utilisé le conte dans des ateliers au profit des enfants en situation de handicap et des femmes battues. Enfin, l’association, dans le souci de perpétuer cet art basé sur l’oralité, a formé au conte des dizaines de jeunes, des élèves et des collégiens en grande majorité.

L’entretien
Latifa Liraqui, fondatrice : « Les jeunes ont soif d’activités culturelles »

Latifa Liraqui

Parlez-nous tout d’abord de la naissance du Cercle…

Le cercle Shahrazade est une association culturelle et éducative née en mars 2000. J’étais responsable de l’animation au sein de l’académie de Hay Hassani et inspectrice des bibliothèques scolaires. À ce titre et à travers quelques ateliers dans les bibliothèques, j’ai pu constater que, contrairement à tout ce qui se disait, les jeunes ont soif d’activités culturelles.

Pourquoi avoir ciblé tout d’abord les établissements scolaires ?

Étant moi-même enseignante à l’origine ainsi que la plupart des membres du cercle, il était naturel pour nous de viser les élèves, d’autant plus que nous étions conscients des défaillances du système scolaire en ce qui concerne la prise en compte du vécu et de l’imaginaire de ces jeunes. Dans ce sens, nous sommes épaulés par un avocat, un psychothérapeute et une psychologue.

La lecture et le conte ont-ils encore dans l’avenir au Maroc ?

La lecture, sur des supports diversifiés, a un avenir certain. Encore faut-il que les jeunes soient accompagnés dans l’apprentissage de la lecture. S’il y a défaillance, c’est bien au niveau des adultes qui devraient les encadrer dans ce sens.

Quelles ont été vos principales activités ?

L’activité de base est l’organisation d’ateliers de lecture/écriture dans les collèges et lycées à Casablanca et dans le monde rural. Notre action s’est élargie au centre de réforme d’Oukacha où durant des années nous avons organisé et animé le même type d’ateliers ainsi qu’au Centre d’éducation pour adultes où nos ateliers visaient les femmes alphabétisées. À côté de cela, nous avons organisé des journées de formation au profit des membres de l’association sur le conte, des journées africaine et andalouse et enfin un club de lecture est constitué depuis des années. Nous avons aussi mené depuis trois ans un large programme d’ateliers au profit des jeunes femmes, Hikayat Shahrazade.

 

Le portrait
Hafida Hamoud : Une conteuse dans l’âme

Hafida Hamoud

Elle adore raconter des histoires, aux enfants comme aux grands. « Le conte m’habite. Quand j’étais petite, j’étais sous la magie de ces histoires que mes parents et que mes grands-parents me racontaient. » Native d’Essaouira, elle la quitte une fois le baccalauréat en poche. Elle débarque à Casablanca afin de poursuivre ses études supérieures au Centre pédagogique régional. Pendant trente ans, elle enseigne le français dans un collège de la capitale économique. Vers la fin des années 1990, elle anime des ateliers de lecture et d’écriture avant de se lancer dans le conte. « À la création de l’association, j’ai bénéficié d’ateliers de formation animés par d’éminents conteurs, tel que Jean Roger Rolland ». Hafida Hamoud met son talent de conteuse au profit des bénéficiaires des ateliers du Cercle Shahrazade. Elle raconte ses hikayates aux écoliers des établissements scolaires, aux pensionnaires de la prison (Islahiya de Oukacha) ainsi qu’aux jeunes femmes du projet des Hikayat… « Le conte nous lie tous. Il permet de perpétuer le lien entre les générations ».


La fiche signalétique
Cercle Shahrazade
6, rue Rahal Meskini, Casablanca
Tel : 06 60 48 42 81


Hicham Houdaïfa

13 avril 2021