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Corps de femmes dans la guerre

Le 4ème roman de la Gabonaise Charline Effah évoque avec une grande sensibilité la continuité des violences politiques et domestiques.

Lasse des violences de son mari alcoolique, Joséphine Meyer le quitte, espérant que sa fille de huit ans, Minga, la pardonnera. Des années plus tard, à la mort de son père, Minga apprend qu’elle est décédée dans des conditions mystérieuses dans le camp de Bidibidi, où elle était infirmière pour une ONG. Ce camp, dans le nord de l’Ouganda, qui accueille les réfugiés du Sud Soudan fuyant la guerre civile. Minga part sur les traces de sa mère et recueille les témoignages de plusieurs femmes. Elle se lie en particulier avec Veronika et Jane, qui ont bien connu l’infirmière du camp, et évoquent aussi la mémoire de Rose Akech. Rose qui parmi toutes ces femmes détruites par la guerre et les violences domestiques, était la plus marquée.

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Charline Effah

« Mon père m’a dit un jour que les femmes avaient des ailes et que ces ailes avaient des plus faites de la même matière que la résilience ». Dans ce terrible et poignant récit, Charline Effah décrit la continuité des violences où le corps des femmes est toujours un champ de combat : les « prisons conjugales » au viol comme arme de guerre. Attentive au « bruissement des ailes brisées », elle décrit les ravages qui situent les victimes entre les vivants et les morts. Elle dit la peur, les cauchemars, le silence. Elle dit la dégradation, le corps profané, ou alors mal aimé. Le corps des femmes exutoire pour des hommes frustrés, déchus, qui se vengent de ne pas être à la hauteur, de ce qu’ils ont eux-mêmes subi. Mais elle dit surtout la force de la résilience.

Le cœur du livre, c’est en effet la façon dont les femmes résistent aux assignations, leur « éblouissante détermination ». Comment réinventer l’amour quand on a fui la guerre, se demandait Charline Effah, pour qui « il y a une similitude entre les guerres sociales et les guerres intimes. Comme le sont les terres sur lesquelles les hommes s’entretuent, le corps de la femme constitue un champ de bataille avec ses affres et ses tourments. » L’autrice retrace cette quête complexe à la fois dans le passé de Minga et de Joséphine, et sur les routes de la guerre et de la solitude. Une quête des mots qui n’ont pas été dits, ceux de l’amour, quand tout est saturé de mots de haine, de « mots assassins » qu’il faudra « peut-être une vie entière pour effacer ». Une traversée des silences, ceux destinés à protéger et ceux qui remplacent les cris qu’on ne peut plus pousser. La recherche d’un temps d’échange, d’une « parenthèse complice » où alléger son fardeau. Où faire la part des choses entre fol espoir et déni. Où se réinventer une autre vie. Pour devenir vraiment minga, femme, et pour voler avec des ailes briser et arrachées, il en faut, du courage.

Charline Effah est l’invitée de Livres d’ailleurs à Nancy du 12 au 14 avril prochain.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Les femmes de Bidibidi
Charline Effah
Éditions Emmanuelle Collas, 228 p., 250 DH

29 mars 2024