Édition,
investigation
et débat d'idées

Dis:tance: Le traumatisme de Cologne

La nuit du 31 décembre 2015 a été un tournant pour les Marocains d’Allemagne, avec des répercussions négatives sur l’image de cette communauté chez le reste de la population allemande.

Le nouvel an 2015 en Allemagne a été marqué par des événements criminels. Pendant la nuit du 31 décembre, des dizaines de jeunes femmes de la ville de Cologne ont été victimes de viols et d’agressions sexuelles. Les autorités ont commencé à qualifier les supposés agresseurs de jeunes hommes originaires d’Afrique du Nord. Ces déclarations ont été relayées avec beaucoup d’énergie et d’exagération par des partis d’extrême droite.

Dans les faits, sur les centaines de suspects qui ont été appréhendés par les autorités allemandes, seuls quelques-uns étaient des réfugiés ou des demandeurs d’asile. « Ceux qui ont commis ces actes ignobles sont pour l’écrasante majorité d’origine étrangère, mais résidents allemands. Mais il y a eu un focus sur les Maghrébins parce qu’on voulait couper la route à la demande d’asile pour les jeunes de cette région », explique Rachid, un influenceur proche du dossier.

Ce qui n’a pas été évoqué en Allemagne, c’est la réaction de la presse marocaine qui a fustigé l’attitude de ces quelques Marocains qui ont pu avoir commis ces actes-là. Ils ont demandé qu’ils soient punis. Bon nombre de titres, dont le site Yabiladi, un portail d’information indépendant, a évoqué sans ambages l’implication « des jeunes Marocains et Algériens qui ont agressés des centaines de femmes la nuit du 31 décembre dernier à Cologne. Vols à la tire, attouchements sexuels et un viol au moins ont été signalés à la police. »[1] Elle a suivi aussi les raids, les arrestations ainsi que les procès contre les présumés assaillants. La presse marocaine a également fait part des peurs de la communauté. Elle a suivi le durcissement des mesures de contrôles qui visaient essentiellement la communauté maghrébine.

Impact sur les sans-papiers

Résultat : pendant les mois qui suivirent cet événement, l’impact sur la communauté marocaine a été important. Cet impact a été encore plus dur pour les sans-papiers et les demandeurs d’asile. Parmi eux, des milliers de Marocains qui ont emprunté la même route migratoire que les Syriens. Une campagne de dénigrement les a visé et on commençait alors à parler d’un éventuel accord entre l’Allemagne et le Maroc qui allait les obliger à un retour forcé. Là encore, les tractations entre les deux pays ont été largement commentées par la presse et les médias locaux. À commencer par la décision du roi d’envoyer son ministre de l’Intérieur de l’époque, Mohamed Hassad négocier le rapatriement des Marocains dont la demande d’asile avait été rejetée.

Juste après, les jeunes allaient donner de la voix afin que l’État marocain ne s’immisce pas dans leurs affaires. Les vidéos de jeunes Marocains sans-papiers et demandeurs d’asile sont mises en ligne notamment sur Youtube, demandant à l’État et parfois au roi du Maroc de ne pas accepter la requête germanique. « Nous ne demandons rien de l’État marocain. J’ai 33 ans, je n’ai jamais pu travailler. Je veux juste qu’ils nous foutent la paix. J’aime mon pays, mais je veux faire mon avenir ici », répète un des jeunes dans une de ces vidéos[2]. « J’ai fait 250 kilomètres à pied. De jeunes Marocains sont morts en cours de route, surtout en Macédoine. Je ne vais pas rentrer au Maroc après tous ces sacrifices. Je veux juste que le Maroc nous laisse tranquille. On ne veut pas revenir refoulés. » Ils tiennent tous à rappeler que « nous sommes contre le harcèlement, contre le racisme. »

Sur les réseaux sociaux, notamment Youtube, durant les premières semaines de 2016, se sont multipliées les vidéos de jeunes dépités de la réaction du roi et des autorités marocaines. Des dizaines d’enregistrements qui rappellent d’autres, que de jeunes Marocains filment, une fois de l’autre côté de la frontière, en Espagne ou en Italie, pour demander à l’État marocain de ne pas se mêler de leurs affaires.

« Pays d’origine sûr »

L’année 2016 a été celles de toutes les inquiétudes pour ces Marocains de la marge qui ont trouvé refuge en Allemagne et qui espéraient y vivre. Au Maroc, on parle alors des échanges téléphoniques entre le roi du Maroc et la chancelière allemande afin que le royaume accepte le rapatriement des jeunes dont la demande d’asile a été refusée. Ces informations ont eu un impact négatif sur la population visée, qui a multiplié les vidéos de protestation contre cette décision qui allait s’avérer par la suite réelle. Le Maroc, comme l’Algérie et la Tunisie, a été déclaré « pays d’origine sûr » par le Bundestag. Seul le veto du Bundesrat empêche la mise en œuvre de ce nouveau règlement jusqu’à aujourd’hui. La conséquence serait que les Marocains n’auraient pratiquement plus aucune chance d’obtenir l’asile ou le statut de réfugié en Allemagne.

Un des youtubeurs marocains les plus influents en Allemagne, Aymane Vagabond, a consacré plusieurs vidéos à l’asile : « 2015 n’est pas 2020. Avant, il y avait une longue file d’attente et donc on avait plus de temps pour pouvoir trouver une solution. Maintenant en deux semaines, ils décident de ton sort et c’est le refus. Des arguments comme faire partie d’une minorité sexuelle ou être persécuté à cause de son appartenance au Polisario, ca ne marche plus. »[3]

D’autres bloggeurs apportent des solutions alternatives aux demandeurs d’asile : « Même si 95 % des demandes ne sont pas acceptées, entre 6 mois et 2 ans, le dossier est en étude et tu perçois 420 euros par mois. Entretemps, tu as la possibilité de te déplacer, tu n’es pas au noir. Tu peux étudier la langue, travailler, faire de la formation professionnelle, ouvrir un compte bancaire. Tu peux travailler en part time et faire de la formation. Si tu trouves un travail, tu peux avoir les papiers. Tu bénéficies d’un temps précieux. À toi d’en profiter… »[4]

Ces conseils ne sont pas toujours vrais, notamment sur le fait d’obtenir des papiers si on trouve du travail, mais qui, au vu du nombre importants de clics, montrent tout l’intérêt porté à ces sujets par une population à la recherche de moyens pour régulariser sa situation administrative.

Hicham Houdaïfa

À lire en allemand ici.


[1] https://www.yabiladi.com/articles/details/41918/allemagne-craignent-amalgames-suite-agressions.html

[2] https://www.youtube.com/watch?v=kM4okYg-Ndw

[3] https://www.youtube.com/watch?v=7fn353_nC_I

[4] https://www.youtube.com/watch?v=BmbYKfpgmvQ

14 avril 2021