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« La liberté de conscience amène au droit de tout remettre en question » , Abdellah Zaâzaâ

On peut concevoir un Maroc où la politique est totalement rationalisée et indépendante aussi bien du religieux que d’autres choses. Pour que cela arrive le plus tôt possible, il faudra que les Marocains apprennent à gérer à la base leurs problèmes. C’est dans ce travail de proximité que s’apprend la laïcité. Cela peut paraître long mais les sauts du changement social ne sont presque jamais prévisibles et ils peuvent subvenir au moment où on s’y attend le moins.

Abdellah Zaâzaâ et son épouse Rachida Sadouk

Personnellement je ne dénie pas aux citoyens marocains de confession musulmane d’avoir une institution telle que la commanderie des croyants pour traiter de leurs préoccupations religieuses. Ce que je remets en question, c’est que cette institution est aujourd’hui au-dessus de tous les pouvoirs de l’État et permet de remettre en cause ou de bloquer toute velléité probable de changement, de l’intérieur aussi bien que de l’extérieur du système.

Classer la commanderie des croyants dans le cadre des organisations régies par la loi sur les associations me parait être la sortie la plus honorable. Mais a-t-on déjà vu une dictature bien établie se laisser délester d’une source de pouvoir quasi céleste ?

La liberté de conscience ne se réduit pas à elle-même. Elle amène au droit de tout remettre en question et donc à remettre en question tous les tabous, dont celui du pouvoir de droit divin, du nationalisme, de l’intégrité territoriale, de l’accaparement des richesses…

Ce qui est intéressant dans le cas britannique, ce n’est pas que la reine soit chef de l’église anglicane. C’est que le premier ministre est le vrai chef de l’État et qu’il est sanctionné par le Parlement et les élections. Je ne remets pas en question le fait que Mohamed VI soit commandeur des croyants. Je dirais que cela ne me regarde pas, si cette institution qu’est la commanderie des croyants ne se dressait pas comme une épée de Damoclès au-dessus des pouvoirs et n’imposait pas une seule et unique « conscience » à l’ensemble des citoyens et citoyennes.

Entretien croisé avec Abdelali Hamieddine, paru dans Tel Quel, Supplément Idées sur la sécularisation, avril 2015

25 mai 2021