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L’abeille jaune, gardienne de la biodiversité

Dotée d’une grande capacité d’adaptation aux températures extrêmes – qu’elles soient chaudes ou froides – l’abeille du Sahara se distingue comme une sous-espèce résistante au changement climatique. Reportage.

L’abeille jaune

L’abeille jaune, cette espèce endémique du Sahara est malheureusement en voie de disparition. Les menaces qui pèsent sur elle sont nombreuses. L’utilisation d’insecticides, d’acaricides et d’herbicides, et les éventuelles actions de synergie qui peuvent exister entre ces molécules en font des coupables idéaux. Mais l’écosystème ruche est également perturbé par certaines pratiques apicoles qui ont désanimalisé l’abeille pour la réduire à une machine à produire du miel, sacrifiée sur l’autel du rendement et du profit immédiat.

Mohamed, un apiculteur engagé

« Sauvegarder l’abeille jaune est un devoir qui demande un dur et long travail ! Mais ce travail s’avère nécessaire et en vaut la peine, tant cette abeille est un symbole d’espoir dans un environnement de plus en plus difficile. Garante des savoirs ancestraux qui lient l’Homme et la Nature, elle est également gardienne de la biodiversité unique qui fait la richesse de cette région aride, mais pleine de ressources », nous explique Mohamed Aglagan, apiculteur et membre de l’association Al Bisher pour le développement et l’environnement créé en 2006 à Skoura.

Mohamed est devenu apiculteur il y a plus de dix ans, quand il a réalisé que cette espèce si particulière était vouée à disparaître si rien n’était fait. « Je devais trouver une solution face à ce massacre », nous dit-il. « Le comportement de l’homme est le facteur principal des dérèglements naturels qu’on observe. Quand on aura découvert l’importance de chaque espèce, notre vie sera meilleure », ajoute-t-il.

Un rucher communautaire troglodyte

La philosophie de Mohamed est pleine de bon sens et l’a d’ailleurs poussé à explorer les techniques de médecine traditionnelle et d’homéopathie, qu’il applique à présent dans son travail aussi bien que dans sa vie. « Il y a tant de choses à apprendre dans les pratiques traditionnelles, beaucoup de savoir à tirer de la nature et notamment de l’abeille. Nos ancêtres avaient l’habitude de sauvegarder leur environnement, ils utilisaient tout ce qui est naturel et protège là où ils étaient, et c’est ce que j’ai commencé à applique », confie-t-il.

La tradition au secours de la modernité !

L’association Al Bisher a pour objectif principal de développer des solutions durables tout en partant des pratiques traditionnelles revisitées, en se focalisant d’abord sur la sensibilisation des citoyens, puis en impliquant les femmes dans la sauvegarde de cette espèce.

Mohamed nous explique que c’est parce que les conditions sont spéciales que l’abeille jaune du Sahara est aussi remarquable. « Il faut apprendre de la nature parce qu’on ne peut pas faire mieux qu’elle. Le mieux qu’on puisse faire est de protéger cette nature, dont l’abeille jaune, qui est si parfaitement adaptée au climat de sa région », relate-t-il. Outre le fait que cette abeille a une langue plus courte que les autres, lui donnant accès aux plus petites fleurs, elle peut butiner jusqu’à sept kilomètres de sa ruche, contre trois kilomètres en moyenne pour les autres espèces d’abeilles. « Elle est capable de réguler sa population en fonction des apports en nectar, afin d’assurer la survie de la colonie », ajoute l’apiculteur. Une démonstration d’adaptabilité fascinante, d’autant qu’elle est également moins agressive, ce qui en fait une partenaire idéale pour les apiculteurs.

Pourtant, sa survie est menacée. Massacrée par la pulvérisation massive d’insecticides en réponse aux invasions destructrices de crickets, principalement dans les années 1980 et 1990, sa population, bien que résistante, a aujourd’hui drastiquement diminué. Les abeilles sont bien présentes, mais celles que l’on peut observer sont presque entièrement noires. Les reines jaunes rencontrent alors les faux bourdons des ruches noires et la dilution génétique s’amorce, entraînant la raréfaction des premières. Il faut donc se rendre dans les vallées reculées du Haut Atlas où l’apiculture traditionnelle est encore pratiquée, loin des zones de transhumance, pour trouver trace de l’abeille jaune.

« L’évasion de cette espèce ne date pas d’hier. Nous avons constaté ce problème depuis quelques années et c’est pour cela qu’on a essayé de travailler sur deux niveaux essentiels à Al Bisher. Le premier consiste à reconstruire un écosystème qui protège et sauvegarde l’abeille, tout en adoptant une approche qui vise à donner des formations en apiculture ainsi que de sensibiliser. »

À Skoura, la tradition est un élément principal et les abeilles font partie intégrante de la vie des familles. Ces femmes qui ont appris à élever les abeilles ont également appris à utiliser leur venin pour se soigner et l’utiliser comme un remède à plusieurs maladies, pour les animaux comme pour les humains. Elles utilisent le venin par exemple contre la leishmaniose, la piqûre du scorpion, la migraine, l’eczéma ou encore l’angine. De même, le miel est connu depuis longtemps comme médicament à plusieurs maladies.

« Aujourd’hui on travaille sur un projet avec une ONG. Nous en sommes à la phase de développement. Ce projet va s’étaler sur cinq ans et a pour but d’inclure les hommes, les femmes et les jeunes dans des formations et des études sur l’apiculture. Nous allons travailler dans ces régions rurales où cette abeille est omniprésente, mais aussi dans la région de Beni Mellal et Marrakech,et bien d’autres villes », conclut Mohamed.

Zhor: l’apiculture un savoir transmis depuis l’enfance

Si l’association Al Bisher fait de grands efforts pour la sauvegarde de l’abeille jaune à Skoura, à Errich aussi, cette ville nichée au cœur des montagnes de l’Atlas, des femmes et des hommes ont senti la gravité de la disparition de l’abeille jaune et ont fait tout leur possible pour préserver la survie de cette espèce.

Zhor, jeune femme de 34 ans, est aujourd’hui membre fondatrice d’une coopérative régionale d’apiculteurs. Elle consacre son temps à la formation théorique et pratique des apiculteurs et à la promotion de l’abeille jaune saharienne.

La passion de Zhor pour les abeilles a commencé dès son jeune âge. C’est son grand-père, apiculteur, qui les lui a fait découvrir et lui a raconté le rôle majeur de cette espèce. « C’est grâce à ces abeilles que j’ai eu la chance de mettre en valeur et de perpétuer le savoir-faire de mes ancêtres et d’exercer un métier que j’aime et qui me donne envie de me lever tous les matins pour faire avancer les choses et aider à protéger cette belle espèce », nous explique-t-elle.

Chaque matin, Zhor commence sa journée en se rendant avec son mari sur les hauteurs d’Errich pour inspecter le rucher et ses colonies d’abeilles et évaluer leur état de santé. « L’abeille jaune est très douce et facile à élever. Chaque matin, on se rend sur les hauteurs pour voir leur état de santé. On prend bien soin d’elles. Je passe la majorité de ma journée à m’occuper d’elles », nous explique-t-elle.

Comme les femmes de Skoura, cette apicultrice ne se limite pas à l’élevage de ces abeilles : elle a commencé à soigner tout avec le miel et les piqûres des abeilles. « Nos ancêtres avaient l’habitude d’appeler le miel, le médicament. Je me suis rendu compte de l’importance de ce miel avec le temps. Depuis que j’ai commencé les formations, je n’utilise que le miel pour me soigner ainsi que les piqûres d’abeilles », poursuit-elle.

L’abeille jaune et le défi de sa survie

Le processus n’est pas simple et demande du temps. En gros, l’idée consiste à prélever du couvain des reines jaunes en montagne, où la race est la plus pure, pour élever de nouvelles reines jaunes qui iront ensuite remplacer les reines noires dans les ruchers ciblés. Petit à petit, et en limitant drastiquement la présence de bourdons noirs, les générations d’abeilles jaunes reprendront le dessus.

Mais, comme nous l’évoquait Mohamed au début, c’est un travail de longue haleine qui nécessite une implication totale. Pourtant, cela en vaut la peine et c’est pourquoi l’association Al Bisher, dont il est membre, a pour objet d’offrir des formations aux hommes et femmes volontaires pour s’engager dans l’apiculture.

Ces acteurs associatifs dans ces deux villes de Skoura ou d’Errich, en plus de quelques ONG, continuent de lutter en faveur de l’abeille jaune saharienne, en établissant un réseau d’apiculteurs professionnels et en mettant en place un certain nombre d’unités de nurserie pour la multiplication et la diffusion de l’abeille jaune saharienne, afin de contribuer à la préservation de cette espèce. Ils veulent ainsi encourager d’autres coopératives et microentreprises, mais aussi d’autres acteurs, à en faire autant, afin de partager cette mission avec la communauté. Ces efforts s’avèrent importants en ces temps de crise écologique qui menacent la vie de cette abeille gardienne de la biodiversité.

Imane Bellamine



Ce reportage a été réalisé dans le cadre de MediaLab Environnement, un programme conçu par CFI financé par le Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères. MediaLab Environnement s’inscrit dans la stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme.


Imane Bellamine est originaire de Midelt et a obtenu sa licence en journalisme et communication numériques à l’ISIC de Rabat. Elle a ensuite travaillé en tant que journaliste pour le groupe Horizon presse pendant une année, puis a obtenu son master Médias et migrations à l’ISIC. Elle est lauréate du programme Equal Access international pour le renforcement du rôle des médias dans la lutte contre l’extrémisme violent. Elle s’intéresse aux droits humains, aux migrations et aux questions de genre. Elle est journaliste à Enass.

22 novembre 2022