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L’égalité, une exigence spirituelle et universelle

L’égalité entre femmes et hommes en tant que valeur universelle inhérente aux fondements de la philosophie des droits humains, demeure, malgré de grandes avancées indiscutables, un idéal encore mondialement inachevé. L’égalité comme alternative à un ordre sexué millénaire, a du mal à être effective sur le plan des réalités sociales encore fortement imprégnées – et à degrés variables – par un système patriarcal universel séculaire. La récente pandémie du Covid-19 a démontré comment à l’échelle mondiale, les femmes ont été les premières à souffrir des répercussions de cette pandémie et comment les inégalités hommes femmes se sont accentuées durant cette crise. La crise sanitaire que nous venons de vivre nous a démontré encore une fois que les acquis concernant les droits des femmes restent fragiles et que rien n’est réellement jamais gagné dans ce domaine.

L’inégalité hommes femmes est relativement plus perceptible au sein des sociétés en voie de développement où le principe de l’égalité fait face à des défis socio-économiques plus importants mais aussi à une résistance culturelle structurelle. En effet, on constate qu’au sein des sociétés, où le référentiel religieux est prédominant à l’instar du Maroc, que cette question demeure d’une grande sensibilité du fait de la « supposée » irréductible incompatibilité entre religieux et égalité hommes femmes.

Cette question de l’égalité, qui cristallise toutes les tensions sociopolitiques contemporaines, n’est pas uniquement une abstraite question des droits des femmes mais une question qui relève des droits humains et qui est donc éminemment politique. C’est pour cela qu’elle est au cœur des problématiques socioculturelles actuelles telles que les libertés individuelles, le droit de la famille et notamment de la dualité, voire l’antagonisme persistant entre les référentiels religieux et universel au sein des juridictions en vigueur.

En effet, au Maroc, la constitution de 2011, tout en stipulant (article 19) pour la première fois dans l’histoire de ce pays l’égalité hommes femmes, la conditionne par le respect des constantes fédératrices dont, en particulier, la religion musulmane modérée. Une égalité donc « restrictive », puisqu’elle reste circonscrite à des constantes, dont en particulier celle symbolisée par la « religion musulmane modérée » comme le précise la constitution. Cette injonction au respect des constantes fédératrices – donc à l’immuable – dans le cadre de l’égalité hommes femmes, exprime de façon évidente la « superposition concurrentielle » de deux référentiels, l’un religieux vécu comme fondement identitaire et l’autre universel, inscrit dans les conventions internationales ratifiées par le Maroc, autrement dit, deux référentiels que tout semble opposer.

Cette approche juridique conditionnée par un référentiel religieux dit « modérée » mais dont le contenu demeure très ambiguë, conforte les contradictions socioculturelles qui entravent la concrétisation de cette égalité au sein de la réalité sociale. Ce qui explique qu’à chaque fois que des voix se sont élevées – et s’élèvent encore – pour revendiquer de véritables réformes égalitaires, on brandit le référentiel religieux comme argument implacable afin de délégitimer ce principe, perçu comme étant intrinsèquement antinomique avec les valeurs islamiques. L’égalité est donc supposée être, pour un certain discours socio-culturel prédominant, un concept fondamentalement occidental, aliénant et en contradiction avec les valeurs dites islamiques. L’égalité hommes femmes, appréhendée selon cette vision dualiste et oppositionnelle, renforce voire cautionne les nombreuses contradictions et décalages existants entre les lois et la réalité socioculturelle.

Or – et on ne cessera de le répéter – ce n’est pas le religieux, dans sa dimension éthico-spirituelle, qui pose véritablement problème mais l’instrumentalisation patriarcale, politique et traditionaliste de ce religieux qui depuis des siècles maintient son pouvoir théologico-juridique sur cette question. En effet, une approche éthique des textes sacrés démontre la présence de latitudes d’égalité et de justice inhérentes au message spirituel qui sont restées marginalisées par la lecture orthodoxe et dogmatique. Il faudrait donc initier cette relecture à l’esprit éthique du référentiel spirituel, porteur des valeurs universelles de justice et d’égalité et l’inculquer à travers l’éducation aux jeunes générations. Il faudrait éduquer, dès l’enfance, à cette culture égalitaire et humaniste, commune et ouverte aux deux référentiels, religieux et universel.

Parallèlement à la nécessité des réformes juridiques, politiques et socio-économiques, la réforme du fait religieux au sein du système éducatif reste une étape incontournable pour l’ancrage d’une culture égalitaire endogène, enracinée dans son histoire, apaisée vis-à-vis de son référentiel culturel et en phase avec un universel vécu, non pas comme une aliénation mais comme un patrimoine humain commun. Sans cela, le principe de l’égalité restera pour longtemps encore prisonnier de l’irréductibilité des discours idéologiques de tout bord…

Asma Lamrabet

8 mars 2022