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L’invitation au rire

Le dernier recueil de Abdellatif Laâbi partage une sagesse pour faire face à la vie.

« Rire, et d’abord rire de soi, est en effet une manière de ne pas pleurer », estime l’écrivain Robert Solé, cité en exergue. Rien de plus proche en effet que les larmes et le rire, et sous la plume de Abdellatif Laâbi, il s’agit tout autant de rire aux larmes que de savourer « les larmes du rire », celles qui coulent lorsqu’on fait le bilan, qu’on s’interroge sur sa vie, sur ce qu’on en a fait, sur la manière dont on a fait de cet « homme en projet », cette « page blanche » à remplir de signes. Ce rire est loin d’être grinçant, c’est un rire de tendresse. Un rire interrompu par l’indélicatesse du corps « ingrat » qui vient troubler les pensées métaphysiques, les sages décisions, la mémoire des amitiés et autres exercices d’ascèse et d’humilité. Mais, insiste le poète : « Rions / jusqu’aux larmes […] Il y a vraiment / de quoi rire / de quoi pleurer ».

Vivre, encore et toujours

Le reste du recueil reprend les thématiques évoquées dans les précédentes œuvres, comme pour approfondir le sujet. « Ukraine, Cette guerre-ci ! » réactive la veine de la poésie engagée, ouverte sur le monde, surtout s’il est source de souffrances et d’inhumanité. « La stupeur / la vraie / nous échappe ». Ici, les scènes de sidération voisinent avec des poèmes pensées, des interrogations sans réponses : « Guernica / multipliée par combien : / dix / cent ? » La Terre est une orange amère alterne entre la thématique de l’engagement pour la paix, les libertés, l’humanité, et des passages plus intimistes où il s’agit de faire face à la souffrance.

Les « Méditations agitées » reviennent sur la douleur physique et les aphorismes qui permettent de s’en échapper : « Aucun fleuve / n’est tranquille / a fortiori celui de la vie ». Plusieurs sections évoquent la perplexité face à la vie qui passe. « Fusées » est une section intranquille, questionnant ce qu’est devenu ce monde « illisible / intraduisible ». Abdellatif Laâbi évoque ici le sentiment ambigu d’être désemparé face à ce qui fait de moins en moins sens, quitte à voir la liberté après le dernier souffle. « Hôpital » dit « la férocité du temps », la grande solitude face à l’épreuve physique, « la souffrance stérile », mais fait sourire : « je suis un patient modèle ! » « Tu » est un autoportrait adressé à lui-même : « Avant ton dernier souffle / tu désirerais pousser / un grand éclat de rire / Un pied de nez à ce que la vie / et les ennemis de celle-ci / t’auront refusé ». « Nous, Vous et le reste » célèbre le lien, le collectif, l’ouverture solidaire à l’humanité. Enfin, le « Dénouement » salue la libération du poète palestinien Ashraf Fayad. La liberté, comme un envol, inséparable de la poésie. Au-delà de la dureté de la vie et du monde, Abdellatif Laâbi dit et redit son amour de l’humain. D’un humain dont la force est de savoir en rire.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Dans le texte
Deux nuages

« Un nuage
ayant la forme de l’Ukraine
suivi par un autre
ayant la forme de la Russie
Tous deux
gracieux
ailés
tels des cygnes
nageant librement
majestueusement
dans le lac du ciel
Je les accompagne du regard
jusqu’à leur disparition brutale
dans le trou noir
qui s’est formé dans ma tête
depuis le déclenchement
de la guerre »

La Terre est une orange amère
Abdellatif Laâbi
Le Castor Astral, 152 p., 16 € / 210 DH

9 juin 2023