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Recension

                         80 MOTS DU MAROC, KENZA SEFRIOUI, éditions l’Asiathèque

Emna Belhaj Yahia est une enseignante et écrivaine tunisienne, qui est l’autrice de l’ouvrage 80 mots de Tunisie

Un grand travail sur 150 fiches réalisées par l’autrice à partir de 2005, largement inspirées par les dizaines de milliers de fiches du grand Dictionnaire Colin d’arabe marocain, paru il y a une trentaine d’années, est à la base de cet ouvrage sorti il y a quelques jours aux éditions L’Asiathèque. Le lecteur est vite embarqué dans une longue promenade lexicale à travers chacun des 80 mots choisis, de sa racine et des innombrables chemins qui en dérivent. Ce point de départ quelque peu  »érudit » ne gâche pourtant en rien la vivacité et l’actualité d’un livre qui explore aussi bien les registres de langue que les effervescences de la vie, à travers un enchaînement impressionnant de mots de l’arabe marocain, qui sont comme les étapes d’un périple plein de surprises.

     Farandole de mots qui vous donnent le vertige, qui sautillent, rebondissent et bourdonnent dans vos oreilles. Souvent issus d’une même racine de trois lettres, ils sont nombreux, palpitants et touchent à des domaines de l’existence individuelle et collective très divers. Ils se gonflent, se nourrissent les uns des autres, se font des signes et vous invitent à les suivre, ce que vous faites de bon cœur. Car, si vous êtes attentif, vous découvrirez, derrière les expressions qui se succèdent, dans un texte pourtant bref, des faits sociaux, des comportements typiques, des attitudes, des réactions courantes qui racontent le Maroc dans toutes ses dimensions. Et là réside l’intérêt. Le même mot vous fait voyager, selon le contexte où il se situe, l’expression dans laquelle il est employé, du léger au pesant ; du joyeux au pénible ; du sérieux au cocasse ; du général au particulier. A en perdre haleine, vous vous déplacez avec Kenza Sefrioui à l’intérieur d’un matériau linguistique aussi copieux que malléable. Jeu subtil où il faut arriver à suivre le rythme rapide du voyage. Adeptes de la lenteur,  prenez garde, c’est au pas de course qu’on avance. Jugez-en : je prends au hasard le mot râs, « tête », p.49, et le texte qui lui est consacré. Je compte, et je ne lui trouve pas moins de 35 emplois, dans des expressions qui ont chacune sa signification ! L’autrice les précise une à une, dans un exercice presque jubilatoire. Cela ressemble à une prouesse.

     J’ai beaucoup apprécié la fluidité, l’aspect kaléidoscopique. On peut toutefois penser que cette approche qui veut embrasser un champ très ample est obligée de sacrifier le petit « arrêt » nécessaire qui creuse en profondeur, s’appesantit parfois sur tel ou tel aspect du réel qu’on examine. Mais il s’agit là d’un choix, de toute évidence, et qui se défend.

                                                                       Emna Belhaj Yahia

10 avril 2024