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Sécheresse : plus qu’une crise de l’eau, un drame social

Le Maroc souffre actuellement, d’une situation de stress hydrique structurel. Selon le dernier rapport de la Banque mondiale sur l’économie marocaine, les barrages cumulent un taux de remplissage de seulement 27,1 %.
Une situation précipitée par la sécheresse la plus grave que traverse le Maroc depuis au moins quarante ans. Avec 600 m3 d’eau par habitant et par an, le Maroc est déjà largement sous le seuil de la pénurie d’eau, estimé à 1 700 m3 par habitant et par an par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). À titre de comparaison, la disponibilité en eau dans les années 1960 était quatre fois supérieure.
Cette sévère pénurie d’eau potable cette année, conséquence du changement climatique et d’une mauvaise gestion hydrique, a fait chuter également la récolte céréalière à 34 millions de quintaux, ce qui représente une diminution de 67 % par rapport à l’année dernière. En effet, la situation est particulièrement inquiétante puisque les nappes phréatiques sont quasi à sec, de même pour les barrages qui ont atteint leur plus bas niveaux jamais enregistrés, mettant en péril la vie des habitants surtout en milieu rural.

Le manque de l’eau tue l’espoir des villageois

À 190 km de Fès, à peu près du Missour, la terre est jaune, le ciel est bleu, pas d’herbe, la terre est nue, il est évident que les habitants ne l’ont pas labourée. De l’autre coté de la route, des enfants et des hommes avec des bouteilles vides font signe aux voyageurs de leur donner de l’eau, une scène lamentable qui montre que tout au long de l’oued Moulouya, depuis Missour jusqu’au barrage Mohmmed V, la vie est désormais durement affectée par le stress hydrique qui menace tout le Maroc. « Voir les enfants demander de l’eau chaque jour sur la route me donne envie de mourir », confie Abdelkader, chauffeur du taxi, père de 5 enfants, qui a abandonné l’agriculture l’année dernière à cause des sécheresses successives.


La plupart des retenues d’eau des barrages de la région ne sont plus qu’une terre asséchée, les maisons sont privées d’eau potable, les puits commencent à se tarir, et de nombreuses familles ont abandonné leur seul gagne-pain, l’agriculture, car ils n’avaient pas de choix. « Le manque d’eau a bouleversé ma vie, parce que l’agriculture était le seul moyen que j’avais de nourrir mes 4 enfants. Afin de subvenir à nos besoins, j’ai vendu mes deux bêtes et suis parti à Fès chercher du travail dans le ménage. Mais en fin de compte, je reste une femme sans mari, alors c’est une autre souffrance », déclare Hlima, 35 ans de travail dans les jnane de sa famille. « La sécheresse a impacté même notre vie sociale : avant, les femmes se réveillaient tôt et partaient aux jnane. Les jnane ne sont pas seulement un lieu de travail, mais un endroit où on peut raconter ses problèmes, échanger des ragots, parfois même trouver des solutions. Mais aujourd’hui, nous n’avons plus où aller », poursuit Hlima.
« Il n’y a pas très longtemps, l’eau était abondante, mais là, elle est devenue rare. La sécheresse de cette année est plus grave que jamais. Presque aucun villageois n’a travaillé son champ, même ceux qui ont un puits, car l’eau des puits est insuffisante », explique Fatna qui parcourt 5 km chaque jour pour récupérer 3 bouteilles d’eau de chez sa tante.
Avec la pénurie d’eau, les agriculteurs ne cultivent plus leur jnane parce qu’il n’y a ni légumes, ni blé, ni orge sauf quand ils les achètent au marché où les prix sont hors de portée.
« Pendant 13 ans, j’ai souffert de la violence de mon mari. Après le divorce, le travail dans l’agriculture a été mon refuge pour nourrir mes enfants. Mais cette petite agriculture qui nous sauve de la faim, qui sauve notre vie, ne suffit plus à nous nourrir. Nous devons nous tourner vers le souk afin de nous approvisionner en produits agricoles. Pour cela, nous devons quitter nos maisons et nos enfants pour gagner de quoi payer le vendeur au marché », déclare Saida, mère de 2 enfants.
Pour les femmes, la sécheresse, c’est la crise de l’eau doublée d’une privation de vie sociale. Sans travail dans les jnane, leur vie n’a pas de sens, tout simplement, car c’est l’activité qui permet aux femmes d’accéder au dehors, qui représente pour elles un espace de liberté et d’expression.
D’autre part, l’élevage a été aussi impacté négativement, car les aliments pour le bétail sont désormais très chers et rarement disponibles. « L’élevage est devenu une activité de bourgeois : ceux qui ont des capitaux achètent des aliments mais le meskin, le pauvre, ne peut plus », confie Mohmmed, qui a abandonné ce métier après avoir tout vendu.
La sécheresse a porté atteinte à leur économie locale et plus encore à leur stabilité et à leur mode de vie.

Le problème de l’eau au Maroc : quelle intervention institutionnelle ?

La crise d’eau présente un vrai défi pour les autorités marocaines, qui manquent d’une stratégie de gestion proactive des risques et des outils techniques garantissant la mise en œuvre et le suivi de l’application des procédures adoptées.

Le moissonnage du brouillard dans les montagnes de Sidi Ifni


Dans ce sens, le ministère de l’Équipement et de l’Eau a élaboré un plan pour faire face aux conséquences de la sécheresse et au problème de la rareté de l’eau en général. Ce plan comprend un certain nombre de mesures.
Parmi elles, l’accélération des travaux d’approvisionnement des centres villageois à partir de systèmes d’eau durables, dans le cadre du plan national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation (2020-2027), et le renforcement de l’exploration de ressources en eau supplémentaires, notamment par la construction de forages pour exploiter les eaux souterraines, sans oublier l’économie d’eau et la réduction de l’utilisation d’eau provenant des déchets, en particulier dans les canaux de traction et de distribution.
Le ministère a alloué un budget de 1 153 millions de dirhams (environ 120 millions de dollars) pour financer un programme d’urgence qui porte sur la construction de barrages collinaires et de petits barrages, la location et l’achat de camions-citernes et l’installation de stations mobiles de dessalement de l’eau de mer et des eaux usées. En plus le programme Al-Ghaith vise à augmenter le pourcentage de pluie ou de neige, en utilisant la technique d’ensemencement des nuages, qui consiste à modifier la structure d’un nuage de façon à accroître les possibilités de précipitation. Il s’agit plus précisément de relâcher des produits chimiques non nocifs pour l’environnement, comme de l’iodure d’argent pour les nuages froids, soulevés par de forts mouvements et poussés à la rencontre d’air froid (- de 5°C) ou du chlorure de sodium pour les nuages chauds, formés principalement d’air chaud et sec.
La collecte de l’eau de brouillard est aussi une solution innovante qui a un impact positif sur la vie des communautés, en particulier des femmes, et sur le cheptel et l’environnement.

Dar Si Hamd


La population de la commune Tnin Amellou, dans la province de Sidi Ifni, comme la plupart des régions du Maroc, souffrait de grande anxiété concernant le manque d’eau et la récurrence des sécheresses. Les femmes, en particulier, consacraient 3 heures et demi par jour à la corvée d’eau, sachant que l’eau des puits est rare. Cela devenait ainsi un souci majeur pour la survie surtout durant la saison sèche. L’association Dar Si Hmad a mis en place un dispositif qui permet la collecte de l’eau de brouillard grâce à des filets capteurs.
Ce projet permet de collecter de l’eau potable au profit de 16 villages, 2 écoles rurales, 5 mosquées et une medersa.
Aujourd’hui avec l’eau livrée à l’ensemble de 635 habitants (16 villages), l’impact de cette solution est mesurable avec des indicateurs constants, notamment concernant le genre :
– Les femmes participent activement et, enthousiastes, sont devenues une partie prenante du projet.
– L’eau est livrée dans les maisons dans le respect des normes, et tous les ménages contribuent à la maintenance du système en payant régulièrement les redevances.
– Les enfants bénéficient d’un enseignement innovant organisé dans les écoles de l’eau, un programme d’éducation environnementale dispensé, dans le cadre de ce projet, dans les écoles rurales de la région, afin de faire de ces enfants des ambassadeurs de l’environnement et des membre actifs qui participent à la sauvegarde des ressources naturelles.
– Cette technique contribue à la tendance croissante à considérer le brouillard comme une véritable ressource alternative dans les régions côtières arides.
– Le développement de la recherche scientifique dans la région permet l’innovation durable au profit du projet et de la protection de l’eau.
Mais cette solution mesurable et durable a des limites : le réchauffement climatique a un impact sur le brouillard, qui se dissipe avec la hausse des températures. Cette hausse augmente la quantité d’eau pouvant être contenue dans un même volume d’air et, par conséquent, l’eau condensée retourne à l’état gazeux. Le brouillard n’en est maintenant plus un.

Kenza Sammoud


Ce reportage a été réalisé dans le cadre de MediaLab Environnement, un programme conçu par CFI financé par le Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères. MediaLab Environnement s’inscrit dans la stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme.


Kenza Sammoud est journaliste et activiste féministe. Après des études en sciences des médias et de la communication à l’université Sidi Mohamed Ben Abdallah de Fès, elle est lauréate du département Genre et politiques publiques de l’université du Kansas aux États-Unis. Elle est secrétaire générale adjointe de l’Observatoire régional du droit à l’information, où elle a piloté le projet « Approche genre dans le paysage médiatique marocain ».

15 novembre 2022